Où trouver, en trois ans au plus, les 90 milliards nécessaires pour
maîtriser la dette publique et retrouver une autonomie de décision?
François Bayrou : Entre le 1er juillet 2012 et la
fin 2015, il faut que la France retrouve l'équilibre de ses comptes
publics. Nous avons donc quarante mois pour réaliser cet objectif, et en
même temps pour entraîner la renaissance du "produire en France".
Aujourd'hui, les recettes publiques vont approcher les 1000 milliards,
dont 920 en prélèvements obligatoires. La dépense publique approche 1
100 milliards. Il faut donc trouver 100 milliards pour revenir à
l'équilibre, pour autant que les taux d'intérêt n'explosent pas... Je
propose deux principes :
- Partage de l'effort, de l'ordre de moitié en
dépenses et moitié en recettes. Pour l'essentiel, les économies en
dépenses demandent des réformes d'organisation de l'État. Les montants à
en attendre seront donc plus tardifs que les montants provenant des
recettes. La répartition entre nouvelles recettes et économies de
dépenses sera donc forcément progressive.
- Répartition de l'effort sur les trois années et demi: 10 milliards en 2012, 30 milliards chacune des trois années suivantes.
Il y aura un train d'économies immédiates, exemplaires et
symboliques, dans le train de vie de l'État, par exemple rémunération du
président et des ministres, train de vie de l'Élysée et du
gouvernement. Ces économies ne sont pas à mesurer seulement par leurs
montants, mais en exemplarité: elles montreront le choix d'un État et
d'une puissance publique plus sobre et plus économe des fonds publics,
qui sont ceux des citoyens.
Les recettes nouvelles proviendront d'abord d'efforts demandés
aux plus favorisés (tranche marginale actuelle portée de 41 % à 45 %, et
tranche supplémentaire pour les revenus super-élevés à 50 %). La TVA
est l'impôt sur lequel l'effort le plus modéré est le plus productif.
Les niches fiscales devront être soit plafonnées, soit "rabotées", soit
pour un certain nombre d'entre elles supprimées (défiscalisation des
heures supplémentaires).
Pour favoriser le "produire en France", la question des charges concentrées sur le travail devra être posée (Bayrou)
Les économies proviendront de réorganisations profondes au sein
de la société (équilibre à long terme des régimes sociaux), de l'État,
de programmes superflus supprimés, d'un pacte de modération conclu avec
les collectivités locales, d'un nouvel accord national pour le
redressement du pays négocié avec les partenaires sociaux, portant par
exemple sur l'organisation et le temps de travail. Pour favoriser le
"produire en France", la question des charges concentrées sur le travail
devra être posée.
Faudra-t-il, et dans quelles circonstances, former un jour un gouvernement d'union nationale?
François Bayrou: L'unité nationale (je préfère ce
mot) est une obligation. Il est impossible d'obtenir les changements que
la situation du pays impose dans le climat de guérilla perpétuelle et
ridicule qui oppose, du parlement jusqu'à la plus petite commune, les
deux partis qui se partagent le pouvoir depuis trois décennies et sont
coresponsables de notre déclin.
Il faut donc une démarche politique nouvelle, qui rassemble les
volontés, un nouveau président et une majorité nouvelle, centrale et
ouverte, au service exclusif du redressement de la France. Ce choix ne
peut être imposé que par la volonté des électeurs au moment de
l'élection présidentielle.
J'ajoute que ce changement devra être plus large que le seul
changement de notre vie politique: les relations sociales au sein de
l'entreprise, par exemple, doivent évoluer elles aussi pour que la
France s'en sorte. Ce sera une des conséquences du choix des Français au
mois de mai.
L'"union sacrée" aurait du sens à condition de reposer sur une
ligne stratégique claire, qui préserve les intérêts supérieurs du pays.
Faut-il mettre en chantier une nouvelle génération de sous-marins
nucléaires lanceurs d'engins pour remplacer les actuels, bientôt
obsolètes, ou renoncer à cette composante de la dissuasion nucléaire?François Bayrou: Le président de la République est chef
des armées. Tant que l'action internationale de renoncement aux armes
nucléaires (que je soutiendrai) n'a pas abouti, il est de sa
responsabilité de garantir notre sécurité. Ma conviction, aujourd'hui,
est que la composante sous-marine est complémentaire de la composante
aérienne et, d'une certaine manière, en assure aussi la sécurité. Je ne
crois pas que les sous-marins soient tous obsolètes (les plus récents
ont 8 ans!). En tout état de cause, ma responsabilité sera d'assurer que
tant qu'il y aura des menaces, la France ne baissera pas la garde et
que sa dissuasion restera crédible.
Que faut-il nationaliser ou privatiser?François Bayrou: "Nationaliser" ne me paraît guère de
saison, l'État n'en a plus les moyens. Peut-être y serons-nous
contraints, à notre corps défendant, en cas de catastrophe (par exemple
dans certains secteurs du système bancaire)... En vérité, il aurait
fallu y réfléchir à deux fois avant de prendre des décisions de
privatisation aventurées, par exemple lors de la privatisation de Dexia,
ou des autoroutes. Mais "nationaliser" ne peut être qu'un dernier
recours. En revanche il nous faudra de nouveaux outils pour l'action
publique, par exemple pour aider à la reconquête du "produire en
France".
Faut-il, et comment, tenter de contenir ou de favoriser l'augmentation de la population du pays?Nos enfants sont notre force, peut-être la plus considérable. Il faudra
animer la vie du pays, son activité, assurer les retraites des
générations nombreuses, et le rayonnement de la France. Notre politique
familiale doit être soutenue et elle est exemplaire dans le monde. Je la
défendrai et l'améliorerai.
Faut-il faire financer, au moins en partie, leurs études universitaires par les étudiants?François Bayrou: Le modèle républicain français, à
la différence des pays qui nous entourent, est que l'essentiel de la
formation scolaire et universitaire est assuré à partir de l'impôt.
C'est une des raisons principales qui explique notre taux de dépenses
publiques plus important que nos voisins. Et ce n'est pas de l'argent
jeté! La France doit l'assumer: c'est un investissement pour l'avenir.
Ne pas croire que cela ne coûte rien aux familles! Lorsque vos
enfants font leurs études dans d'autres régions, il faut assurer le
logement, la vie quotidienne, les fournitures, les livres, etc. C'est
souvent très lourd. Dans le cadre de cet effort, pour aider les
étudiants à financer leurs études, je proposerai une mesure nécessaire
pour l'école et utile pour eux, de participation active au soutien
scolaire (aide aux devoirs, présence auprès des élèves, etc.), moyennant
indemnisation.
Faut-il interdire l'usage et le commerce de substances légales
addictives et mortelles (tabac, alcool, produits sucrés) ou autoriser
celles que la loi prohibe (haschich, cocaïne, etc.)?François Bayrou: Je ne mets pas sur le même plan
"produits sucrés" et cocaïne, par exemple. Pour moi, les addictions,
notamment aux produits psychotropes qui altèrent la perception de la
réalité, doivent être traitées d'abord sous l'angle de la santé
publique. Une politique publique de prévention, d'éducation, de soins
serait plus efficace que toute autre pour combattre les fléaux sociaux
que sont ces diverses formes de dépendance. Il faut évidemment lutter
sans faiblesse contre les trafiquants qui mettent en exploitation ces
dépendances.